تفصيل
- الصفحات : 324 صفحة،
- سنة الطباعة : 2025،
- الغلاف : مقوى،
- الطباعة : الأولى،
- لون الطباعة :أسود،
- الأبعاد : 24*17،
- ردمك : 978-9931-08-969-8.
L’avènement de la presse dans l’Algérie coloniale française reste lié à la troublante et sanglante histoire de la conquête militaire dont elle partage les objectifs et accompagne l’avancée. À l’image de celle qui se concevait en Europe et, particulièrement en France, dont elle reproduit les modèles, la presse coloniale d’Algérie se projette progressivement comme une activité économique autonome, dispensatrice de profits et orientée vers les mutations de l’économie locale (agriculture, industrie, services). En 1830 déjà, L’Estafette d’Alger, éphémère journal de la conquête d’Alger, dont les presses sont débarquées sur les sables de la plage de Sidi-Ferruch, en même temps que les troupes françaises et leurs armements, se proclamait le porte-voix d’une armée en campagne. Cette position de presse en mission était appelée à perdurer : la presse coloniale accompagne le débat politique dans le pays conquis tout en se faisant le gardien du dogme colonial naissant et l’observateur et le défenseur de ses avancées territoriales et économiques.
Cette presse de combat, aux centaines de titres essaime, depuis le XIXe siècle, d’Alger au plus petit centre de colonisation, totalement acquise aux attentes du gouvernement colonial. Journaux de diffusion et d’influence à l’échelle du pays ou d’intérêt strictement local, s’adressant parfois aux seuls membres d’une association paroissiale, encadrent l’activité d’une colonie, vite érigée en tribut du vainqueur[1]. Cette efflorescence de journaux coloniaux précède et annonce une presse indigène aux destinées contraires et contrariées. La maîtrise de l’entreprise de presse et de ses métiers s’est assez vite imposée comme un objectif dans la société dominée. Cet apprentissage, lent et difficultueux, du journal marque un moment crucial dans la transformation dans la communication du peuple colonisé.
Les élites indigènes ont assez tôt ressenti le besoin de disposer de la presse, phénomène d’acculturation, qui devient un enjeu de leur présence dans la cité coloniale. Commandant dans l’armée coloniale, retraité, Mohamed Abdallah peut être considéré comme un des premiers Algériens indigènes à avoir utilisé le journal pour faire connaître les attentes de ses coreligionnaires : il le fera, en 1880, dans les colonnes de L’Akhbar, feuille gouvernementale, abordant notamment les problèmes de la scolarisation des enfants indigènes et de la concussion de la justice musulmane[2]. Mais bientôt, d’autres médias sont aussi requis comme le livre, l’opuscule et même l’affiche pour exprimer les opinions d’une communauté enchaînée. La formation d’une presse, faite exclusivement par des Indigènes et pour des lecteurs indigènes ne pourra se concrétiser au XIXe siècle, en raison d’une législation coloniale qui se dressait devant toute amorce de progrès de la population soumise.
Les dispositions libérales de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui s’appliquaient en France et dans les possessions françaises, sont entravées en Algérie par un codicille sur la nationalité des animateurs de projets de presse, qui devaient obligatoirement être Français. Le gouvernement colonial ne manquait pas aussi de poser des obstacles infranchissables, comme celui de l’acquisition de machines à imprimer réglementée au profit des seuls coloniaux qui accédaient au brevet d’imprimeur en vertu d’un décret ministériel du mois d’août 1834.
Les premiers journaux consacrés à la place des Indigènes dans la colonie, réputés indigénophiles, appartiennent à des associations, essentiellement métropolitaines, de défense des populations autochtones des colonies. Si les Indigènes algériens n’y trouvent pas pleinement leur place, ils représentent pour eux une option de communication ouverte, un contre-poids à la presse coloniale. L’encadrement juridique et administratif de la presse indigène ne sera partiellement assoupli qu’au siècle suivant. À la veille de la Grande Guerre, Sadek Denden (L’Islam, 1910) et Abdelaziz Tebibel (L’Étendard algérien, 1910), à Bône, et Hadjammar (Le Rachidi, 1911), à Djidjelli, créent en leurs noms propres des titres de presse. La grande aventure de la presse indigène de l’Est algérien est lancée, se prolongeant en de nombreuses péripéties.
Mais les contextes de la naissance de cette presse dans l’Algérie coloniale signalent, assez longtemps aux XIXe et XXe siècles, la prévalence de l’idéologie sur l’appropriation de l’outil de la communication publique. Cette tendance, à laquelle échappe peu à peu la presse coloniale, arrivée à une maturité professionnelle, mue par des intérêts économiques certains, après l’installation du gouvernement civil, en 1870, oriente durablement le journalisme indigène plus porté vers la diffusion d’un message sur et vers la société, moins soucieux de l’adaptation et de la rentabilité d’un projet d’entreprise de communication. L’objectif des promoteurs de la presse indigène était d’informer dans l’immédiateté et dans la proximité de l’événement plus que de favoriser, comme le font les Européens, une réflexion sur l’émergence de structures de communication durables.
La presse de l’Est algérien, spécialement dédiée aux Indigènes, se développe sur une période de quatre-vingts ans, de l’apparition, à Constantine, chef-lieu du département, du premier journal indigénophile El Moutakhib, en 1882, à la veille de l’indépendance nationale, le 3 juillet 1962. Dans le pays « pacifié », au gré de sanglantes guerres de conquête de 1830 à 1881, la société indigène ne peut se comprendre sans les pesanteurs juridiques, administratives et répressives qui lui sont infligées comme une sanction au vaincu.
La sphère indigène déstructurée par la guerre de conquête française, au XIXe siècle, s’accroche à quelques lambeaux encore menacés de son identité, la religion musulmane et la langue arabe qui en est le véhicule. Il a fallu, au tragique déboulé des hécatombes ordonnées par l’armée de conquête française, comme en 1845 les enfumages des Sbéahs dans les grottes du Dahra[3], reconstruire les liens dispersés de la société, sauver ce qui pouvait l’être : toute une foule de savoirs et de pratiques traditionnelles. Mais il fallait aussi s’ouvrir au progrès, tel que l’enseignait l’École française. Les élites de la période comprenaient que tout devait commencer là, dans cet univers formateur où le jeune Indigène allait acquérir la science pour se libérer de toutes les emprises. À Constantine, le muphti et professeur de Médersa, Mouloud Benelmouhoub avait composé un hymne à l’École française, à plus d’écoles françaises, qu’entonnaient les jeunes scouts musulmans dans leurs monômes dans les rues de la cité[4].
L’Algérie indigène voulait sortir de la nasse des siècles obscurs qui ont précipité son asservissement. La lutte contre l’ignorance était un défi. Les élites indigènes auront à cœur d’introduire leur communauté dans un avenir que préfigurait pour eux les nouvelles techniques de la cité coloniale française, ressourçant les activités humaines, de la médecine à l’agriculture, de l’artisanat à l’industrie ; ils voudront s’adapter au tempo de la ville coloniale et à sa politique, pour défendre contre ses lois restrictives le droit à la dignité humaine.
La rupture d’avec les archaïsmes d’antan appelle une maîtrise de la communication, des nouveaux médias et de leurs langages nombreux. Dans cette société indigène, en recession après les affres de la conquête militaire française, qui a la volonté de se transformer, la presse fut-elle seulement, parmi d’autres médias, l’outil le plus incertain, toujours tenu sous les fourches caudines de la répression coloniale ? Parmi les moyens de communication qu’offre la cité coloniale, le livre et le journal ont été les plus irrésolus et les plus surveillés, en raison de leur forte prégnance idéologique. En l’espace de cent-trente deux ans d’occupation française de l’Algérie, il n’y a eu qu’une seule maison d’édition indigène – En Nahda, exerçant à Alger entre 1946 et 1954 – contre plusieurs dizaines dans la communauté européenne. Le journal, s’il fut tardif et parcimonieux, restait sous le bâillon administratif.
Cette presse est née dans le dénuement matériel, financier, technique et humain, rassemblant difficilement en l’absence de canaux de formation le potentiel professionnel (journalistes, techniciens, gérants) pour garantir une expérience de communication sans précédent. Ses promoteurs y concevront pourtant une voix pour leur communauté, avec une grande motivation pour contrecarrer une destinée de sombre aliénation. Les premiers journalistes indigènes, debout sur les rives d’une politique coloniale excessivement contraignante, ont compris cet espoir que suscitaient le journal et, plus généralement, l’information et l’accès à l’information, valeurs éminemment modernes.
Cette évolution culturelle que favorisent les médias dans la société indigène de tradition orale, aux multiples mutations dont celle de l’écrit imprimé n’est pas la moindre : elle se projette dans les soubresauts du conflit colonial, dans une confrontation aux forces inégales. Dans ses principes éthiques, dans ses discours et dans ses objectifs, la presse indigène naissante ne s’écartait pas des mouvances politiques de sa société et de leur lente maturation, de l’assimilation-association à la France à la volonté d’indépendance, qui a défaut d’être obtenue par la politique le sera par les armes (1954-1962). La constitution d’une presse indigène de l’Est algérien a traversé l’histoire de la colonie, marquant la succession d’étapes nombreuses aux plans juridique, administratif et politique. Son étude propose un objet suffisamment autonome, qui s’inscrit dans la continuité géographique et socio-historique, tout en marquant un rôle reconnu dans les évolutions politique et socioculturelle de la communauté subjuguée.
[1] Cf. la synthèse qu’en propose Laure Demougin dans L’Empire de la presse. Une étude la presse coloniale française entre 1830 et 1880, Strasbourg, Presses de l’Université de Strasbourg, 2021.
[2] L’auteur publie en 1880, sous forme de fascicules, De la Justice en Algérie, De la sécurité dans les villages et les tribus, L’Avenir. Un quatrième fascicule Actualités regroupe d’autres contributions données à L’Akhbar.
[3] Cf. Hassan Remaoun (éd.), L’Algérie, histoire, société et culture, Alger, Casbah Éditions du CRASC, 2020, p. 320.
[4] Cité par Chérif Benhabilès, L’Algérie française vue par un Indigène, Alger, Imprimerie orientale Fontana Frères, 1914.