تفصيل
- الصفحات : 182 صفحة،
- سنة الطباعة : 2025،
- الغلاف : مقوى،
- الطباعة : الأولى،
- لون الطباعة :أسود،
- ردمك : 978-9931-08-967-4.
Évoquant « l’effet roman » dans la littérature africaine, Xavier Garnier et Alain Ricard soulignent cette singularité :
On se doute que le matériau narratif vient souvent de genres bien établis dans diverses traditions littéraires relevant notamment de l’oralité, mais l’amont du texte est moins important pour la détermination du genre que sa destination[1].
Comment formuler un objet « roman » et en faire une finalité à partir d’héritages traditionnels, toujours agissant dans la société ? Cette question devrait situer une position singulière d’auteur relativement à l’appropriation et à l’écriture du genre. Le choix du roman par l’écrivain malien Massa Makan Diabaté s’inscrit-il seulement, comme le note son biographie C.M.C Keita, dans le « roman familial » ?
Le roman constitue pour Massa Makan Diabaté l’occasion de se libérer et de s’émanciper de manière définitive de l’univers de la parole paternelle, univers dans lequel son apprentissage du jaliya[2] l’avait maintenu pendant les dix premières années de sa carrière d’écrivain[3].
Si le changement d’expression littéraire et la pratique du roman marquent une évolution pour Diabaté, sortant de la sphère de l’oralité traditionnelle, qui veut se distinguer dans un genre caractéristique de la création littéraire occidentale, comment sont-ils exprimés dans la trilogie de Kouta ? Trois aspects du travail de l’écrivain permettent d’y répondre :
René Depestre a une saisissante formule pour dire la singulière histoire de sa langue d’écrivain : « Le créole sert de support intime à chaque mot français que j’emploie… »[4]. Cette expérience se répète-t-elle chez les auteurs africains ? Cette volonté de « métisser », de surimposer, juxtaposer sa langue originelle, le malinké, et ses langues d’usages, notamment l’arabe provenant du fond liturgique ou le wolof, au français, sature la trilogie de Kouta. Dans un entretien avec Bernard Steichen, Diabaté parle de faire des « bâtards à la langue française »[5]. L’auteur utilise les mots de ces langues pour désigner des objets, des idées ou pour typer une expression. L’intérêt qui s’attache à ce procédé n’est pas seulement linguistique, puisque le recours à l’hétérogénéité lexicale tel que formulé par Diabaté participe de l’élaboration de la langue littéraire.
Jean-Marc Moura a reconnu la spécificité transitoire des pratiques langagières dans les littératures issues des colonies :
L’œuvre littéraire francophone postcoloniale est caractérisée par l’hétérolinguisme (au sens général de coexistence de différentes langues dans un même texte). La proximité des autres langues, la situation de diglossie, le passage de l’oral à l’écrit, la diversité des publics (plus ou moins éloignés) imposent à l’écrivain des stratégies de détour et font de ces littératures des littératures de « l’intranquillité » quant à la langue.[6]
Dans la trilogie de Kouta, la situation d’hétéroglossie[7], voulue par l’auteur, fait partie de ses options spécifiques du travail littéraire. Cette dimension interculturelle dans une interlangue foisonnante, jouant sur les emprunts au malinké, à l’arabe et au wolof, peut, toutefois, oblitérer le sens du texte. L’entreprise proprement littéraire paraît ainsi, chez Diabaté, fixée sur la capacité à transcender les impasses morphosyntaxiques et sémantiques de ce jeu sur et à l’intérieur des langues.
Pour Diabaté, il ne saurait exister une langue française pure dans le cas des anciennes colonies. Son expérience personnelle de la langue recoupe les sédimentations de la langue d’usage du groupe social malinké, confronté dans sa longue histoire aux contacts avec des civilisations étrangères dont la plus ancienne est celle de l’islam et de sa langue véhiculaire, l’arabe. Par capillarité le bamakokan, la langue de la capitale, important foyer de la culture bambara, et le wolof sénégalais, proche, ont pu fixer de nombreux emprunts, qui colorent le français d’usage de la population et de l’auteur.
Ce français « autre » de Diabaté est-il éligible à la création littéraire, avec ses nombreux emprunts et ses néologies ? Le roman de Kouta n’exclut ni la diversité ni la créativité linguistiques.
Si l’objectif de Diabaté est d’envisager dans la trilogie de Kouta une réalité culturelle malinké, celle-ci devrait être aussi perceptible dans la conception du roman en tant que forme culturelle assimilable dans l’expérience du Mandé. L’hétérogénéité générique du roman est considérée par l’auteur comme une indispensable voie de passage vers son adaptation locale.
Les historiens européens des genres littéraires (notamment Karl Viëtor, Hans Robert Jauss, Jean-Marie Shaeffer, Gérard Genette[8]) ont montré la difficulté à construire une norme pour chaque « classe de texte » (T. Todorov) instituée. En Afrique, le roman est d’abord un produit d’acculturation. Pour Diabaté, comme pour les générations d’écrivains issues des nouvelles sociétés indépendantes, il n’y a pas à son égard une attitude dévote. L’hybridation du genre est la règle. L’écriture du roman si elle prend appui, comme on le montre, sur des canevas reconnus qui obéissent à la formalisation du genre (du paratexte vers le texte) introduit – au prix d’une mise en scène – un autre élément qui n’est jamais donné comme un objectif : l’oralité.
L’originalité d’auteur de Diabaté réside sans doute dans le milieu familial dans lequel il a grandi et s’est formé. Appartenant à une lignée de maîtres de la parole du Mandé, initié dans la proximité de son oncle Kèlè Monson Diabaté, Massa Makan Diabaté s’engage assez tôt dans une compétition de légitimité du dire (le fadenya). Écrivain, il s’agira pour lui ni d’adapter ni de traduire en langue française le récit de tradition des griots mandingues, mais de le réinventer à la mesure du roman, le genre le moins codifié de la littérature occidentale. Diabaté ponctue son récit de différents discours sociaux figurant une tradition édifiante, du proverbe à la maxime, du conte à l’historiette, de la chanson au poème. Ces rajouts soulignent les impasses du roman où une esthétique de la surcharge mine les marquages les plus conventionnels du genre.
L’usage du discours paraméliogique (proverbes, maximes, sentences, dictons) situe un autre versant de l’intrusion de l’oralité dans l’écriture et dans la conception du roman. Diabaté est dans le champ littéraire africain francophone l’auteur qui dénonce – sur le registre distancié de l’humour et parfois de la farce – cette impossible adaptation du roman, genre européen, aux normes culturelles traditionnelles locales. Il prend l’option de l’inclusion de discours de la tradition orale comme une démarche d’auteur qui fonde la naturalisation du genre. Cette inclusion fonctionne dans le corps même du récit par l’adjonction de contes, chants et proverbes.
Diabaté se remet-il en cause dans l’écriture du roman ? Comment, en effet, passer de l’évocation millénariste du mythique Sundiata à la description d’une société confrontée aux divers revers de l’histoire, de la colonisation française de l’ancien Soudan à l’indépendance, de la colonie intégrée à l’espace régional de l’Afrique occidentale française à l’État national ? Il sait qu’en écrivant la trilogie de Kouta, il s’adresse autant à ses lecteurs habituels qu’à de nouveaux lecteurs, plus portés vers le roman. Alors même que Bâ s’est essayé, de manière épisodique au roman en écrivant L’Étrange destin de Wangrin (1974), Diabaté croit à la possibilité de prendre place dans ce genre. Le déplacement générique – du conte au roman – n’est pas sans risques dans son cas, qui suppose une stratégie de communication littéraire, pour lui inédite. Dans la littérature francophone africaine, le roman implique un respect – à défaut de règles – des traditions du genre, comme l’observe Fallou Mbow :
Le roman en tant que genre devient un contrat discursif tacite entre lecteur et écrivain. Comme tel, l’écrivain ne peut écrire comme bon lui semble, au risque de ne pas être lu ou compris. Ce contrat se noue d’ailleurs, entre autres, dans le terme « roman » mentionné sur la couverture du roman. À partir de ce moment, le roman comme genre induit toujours des attentes chez le lecteur et des exigences d’écriture chez l’auteur.[9]
C’est précisément dans la patiente construction d’une présence dans le champ littéraire comme auteur de textes répondant de différents genres et registres d’écriture, notamment le roman, que Diabaté s’impose dans ce rôle d’« écrivain national » que la société lui reconnaît peu de temps après sa disparition. La question envisagée, ici, est de savoir quelles résolutions ont été au principe du choix du roman, orientant une marche vers la légitimité littéraire dans le Mali des années 1960-1980 ?
[1] Introduction du numéro spécial de la revue Itinéraires et contacts de culture, sur le thème L’effet roman. Arrivée du roman dans les langues d’Afrique, vol. 38, Paris, L’Harmattan-Université Paris 13, 2006, p. 10.
[2] Fonction d’homme ou de femme de parole spécifique à la tradition malinké.
[3] CM.C. Keita (1995), op. cit., p. 111.
[4] Le Métier à métisser, Paris, Stock, 1998, p. 138.
[5] « L’Écriture narguée par la parole », Notre Librairie, n° 84, 1986. Lylian Kesteloot note dans cette démarche l’intention des auteurs africains de « violer sans scrupules l’outil linguistique de l’ancien colonisateur » (Cf. « L’influence des langues africaines sur la littérature d’expression française », Revue de L’Institut de sociologie, Université libre de Bruxelles, juin 1991, pp. 157-160).
[6] « Critique postcoloniale et littératures africaines francophones : développement d’une philologie contemporaine », dans Papa Samb [éd.], Fictions africaines et postcolonialisme, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 72.
[7] Le concept est proposé par Mikhaïl Bakhtine. Cf. Tzvetan Todorov, Mikhaïl Bakhtine. Le principe dialogique, suivi de Écrits du Cercle de Bakhtine, Paris, Seuil, 1981, p. 89.
[8] Cf. les synthèses présentées dans Théorie des genres, Paris, Seuil, coll. Points, 1986.
[9]Énonciation et dénonciation du pouvoir dans quelques romans négro-africains d’après les indépendances, Thèse, Université Paris 12 (Créteil, France)-Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal), 2011, p. 39.