تفصيل

  • الصفحات : 302 صفحة،
  • سنة الطباعة : 2025،
  • الغلاف : مقوى،
  • الطباعة : الأولى،
  • لون الطباعة :أسود،
  • الأبعاد : 24*17،
  • ردمك : 978-9969-06-046-1.

L’identité culturelle : entre défis du numérique et approche comparatiste.

Jalel El Gharbi

Laboratoire Babel, Université de Toulon.

L’immersion de plus en plus croissante de nos sociétés dans le numérique est aujourd’hui irrévocable, irréversible. Cela est si vrai que c’en est un navrant truisme. L’évolution fulgurante de l’outil informatique rend plus poignante, plus pathétique la nostalgie qu’on peut ressentir à la lecture d’un poème tel que celui-ci :

Mon berceau s’adossait à la bibliothèque,

Babel sombre, où roman, science, fabliau,

Tout, la cendre latine et la poussière grecque,

Se mêlaient. J’étais haut comme un in-folio[1].

Face à ce texte qui – il faut en convenir– peut sembler anachronique, j’ai d’abord été tenté de hasarder un pastiche de Baudelaire, puis je me suis vite rétracté, préférant me décharger de cette tâche indélicate sur l’Intelligence Artificielle, qui, elle, n’a fait aucune difficulté à le travestir de la sorte :

Mon berceau s’adossait à l’ordinateur,

Sombre serveur, où blogs, forums, vidéos,

Tout, les fichiers anciens et les données récentes,

Se mêlaient. J’étais petit comme un écran d’accueil.

Prenant le contre-pied du discours passéiste répétant à l’envi que « c’était mieux avant », certains penseurs, comme Michel Serres, pourtant versé dans les humanités ainsi que dans l’univers livresque, appellent à une adhésion totale aux progrès numériques, qui, assène-t-il, offrent, à l’évidence, plus de facilités dans l’accès à la connaissance, permettant de la sorte une véritable démocratisation de l’accès à la connaissance :

« Mieux valait habiter Paris ou une grande ville pour accéder aux bibliothèques, aux universités, aux centres documentés. Un renseignement, une citation pouvaient coûter des journées de voyage et des heures de recherche. Clic, aujourd’hui, un centième de seconde pour le même résultat. Science concentrée avant, ici et là, mais rare ailleurs, savoir désormais distribué presque partout.[2] »

Michel Serres introduit cependant un bémol dans son plaidoyer pour les avancées technologiques. Il distingue l’information, que les nouveaux médias rendent facilement accessible, et la connaissance, qu’ils ne peuvent cependant pas offrir. Or, le tout n’est pas d’accéder à l’information, qui est à la portée de n’importe qui, mais à la connaissance, toujours plus sélective.

Pour d’autres, l’adhésion à l’environnement numérisé a comme corollaire le triomphe de la facilité et de la paresse au détriment de l’effort et de l’application ; la mainmise de la futilité consumériste sur la haute curiosité vouée à la culture.

Le triomphe du numérique, souvent assimilé à une révolution, est tel qu’il incite à reconsidérer notre relation au réel, au savoir et à sa transmission. L’école, l’université ne peuvent pas faire comme si le numérique n’existait pas, tant le changement est profond. Pour extrapoler, nous dirions même que ce changement a des implications ontologiques impliquant notre être au monde. Tout se passe comme si nous devions repenser les dix catégories du réel définies par Aristote : essence (ou substance), quantité, qualité, relation, lieu, temps, position, possession, action et passion, tant l’identité même du sujet semble remise en question. Voici comment on pourrait appliquer ces dix catégories à nos étudiants : ce sont d’abord des êtres connectés en permanence, grâce à leurs Smartphones. Telle est l’essence que notre époque voudrait leur donner. Ils ne sont jamais seuls. Ils sont très informés, en contact avec la terre entière. Ils vivent un autre temps, un autre espace, ils ont à leur disposition d’énormes bibliothèques mais aussi des futilités tout aussi grandes et surtout ils ont un attachement sans failles à leurs réseaux grâce auxquels ils imaginent pouvoir agir sur le monde.

On comprend dès lors que cette révolution numérique ait pu susciter les craintes d’un délitement identitaire, d’un effilochement culturel

[1] Baudelaire, Charles : « La Voix », Les Fleurs du mal

[2] Serres, Michel : c’était mieux avant. (Petite Poucette suite). Paris, Editions Le Pommier, 2017, p. 61.